Le capitalisme ne peut être éco-compatible

La banlieue: cimetière civilisationnel

(republication d’un texte de l’hiver dernier)

La nature est devenue matière à mathématiser afin de l’appréhender dans un schéma techno-scientifique mu par les besoins présents, mais surtout à venir, du capital. La connaissance scientifique de la nature, de ce substrat conceptuel dans l’indéfini supposé de ses possibilités, précède le développement du productivisme capitaliste. Sa mathématisation, même s’il elle comporte des possibilités d’accroitre nos connaissances afin de pouvoir envisager sereinement une évolution de notre propre découverte (dans une vision holistique), permet en toute priorité à notre époque et dans le paradigme qui est le nôtre, son exploitation effrénée par un système de production ayant fait depuis longtemps de la science sa section d’éclairage. L’économie éhontée qui est trop souvent faite du principe de précaution dans le domaine de la recherche appliquée en donne un illustre exemple. La techno-science a un rôle dans « l’abstractité » de la pensée dominante, tout en étant elle-même issue de cette dominance (des rapports sociaux abstraits de production), dans la mesure où elle renforce le fétichisme d’une nature soumise à un état de marchandise en puissance et par là même, autorise la reproduction du procès cyclique et répétitif de la valorisation.

La nature est donc conçue comme une matière vivante à dominer (autour de nous et en nous), comme une infériorité, féminisée comme il se doit et dont le sort logique est d’être offerte aux divagations de l’intellectualisme rationnel, fruit des rapports sociaux productivistes, et se concrétisant dans le scientisme carriériste et égotiste à la solde de l’idéologie rationaliste. Or, derrière ce concept historique de nature, c’est la vie (ou le rapport à la vie et ses diverses formes) qui s’y trouve recluse, réifiée, extériorisée et à quoi il est nié en ces temps de recherche effrénée de performance de posséder ses propres limites face aux besoins grandissants de l’économie vorace. C’est ainsi qu’il devient alors possible, sans tenter de changer ce paradigme, de considérer autrement cette nature en se donnant alors l’impression de pouvoir changer les rapports que nous entretenons envers elle ; et en partant d’un tel présupposé, nous sommes enclins à penser que l’idée de la nécessité de préserver la nature participe en réalité à la poursuite de la domination d’une part de nous-mêmes sur une autre part, infériorisée, sous des formes plus ou moins différentes, et ce dans une incapacité de mettre radicalement en cause « notre » système de rapports sociaux de production et donc de domination.

La nature peut être conçue dans une visée utilitariste, et la nécessité de sa protection ne dépasse pas cette visée, elle l’utilise même. La polarisation et la séparation persiste ainsi que toute recherche de valorisation par d’autre voies. C’est ainsi que certains en viennent à parler de droits qu’il faudrait concéder à la nature sauvage et à ceux(celles) qui la compose comme d’une intégration au système du « fétichisme juridico-politique » (Antoine Artous) qui, loin de prémunir de la domination totale du système marchand, permet au contraire à celui-ci de faire perdurer et d’accroitre sa main-mise sur la vie. Non pas que la protection de la nature dans sa phase pratique ne puisse trouver grâce à nos yeux en maintes circonstances, mais la mise bout à bout de ces deux termes : « nature » et « protection », ne saurait être le la d’une critique et de pratiques visant à expurger de nos esprits, et du monde par conséquent, des causes réelles et profondes de la mise en danger de la vie.

Il n’est pas dans l’intérêt du Capital de porter atteinte à la « nature » malgré que se soit là sa tendance pourtant, du fait du rapport contradictoire qu’il entretient avec la vie. Cette tendance immanente à sa dynamique d’auto-accroissement annihile par le fait tout projet écologiste qui ne remet en cause radicalement ses fondements, et c’est ainsi, entre autres, que « pour Marx, ce modèle de croissance est à double face : il entraîne l’expansion permanente des capacités productives humaines, mais cette expansion, liée comme elle l’est à une structure sociale dynamique aliénée, revêt une forme débridée, illimitée, accélérée, sur laquelle les hommes n’ont aucun contrôle. Indépendamment de toute considération sur les possibles limites à l’accumulation du capital, l’une des conséquences de cette dynamique particulière – qui produit de plus grandes augmentations de richesse matérielle que de survaleur -, c’est la destruction accélérée de l’environnement naturel. Selon Marx, par suite du rapport entre productivité, richesse matérielle et survaleur, l’expansion continue de la survaleur a de plus en plus de conséquences désastreuses pour la nature et pour les hommes... ». Le Capital s’est emparé de la nature et en a fait un des éléments indispensables de son auto-valorisation. Il a ainsi réifié notre rapport à la vie en excluant de l’organisation structurelle rationnelle et de plus en plus « cybernétisée » qu’il impose, la spontanéité, l’imprévisibilité, l’auto-accomplissement, la recherche immanente d’autonomie et d’inter-dépendance qui sont comme autant d’expressions des rapports directs qu’entretiennent les êtres avec la vie, avec eux-mêmes.

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ou Écologie et émancipation

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